
Propos recueillis par Olivier Aubrée et publiés dans Metro le 01.04.2007
« Nous sommes de grands gosses »
Éric Stalner est décontracté. Son crayon trône sur une planche quasi achevée (déjà la n°36 du prochain tome de Voyageur). Deux mines satisfaites du travail accompli. Éric Stalner est cruel : « Avec Pierre Boisserie (coscénariste, ndlr), on a récemment décidé de faire arracher le bras d'un personnage. » Éric Stalner est surtout « super excité » par cette nouvelle saga en treize tomes dont le premier est paru le 28 mars et dont le dernier est programmé en 2011. Un voyage à rebours dans le temps, à la croisée des genres (science-fiction, thriller, épopée historique) et au suspense prometteur.

Pierre Boisserie avait envie de suivre un héros ayant pour mission de préserver le déroulement du passé pour ne pas provoquer le chaos dans le présent. Face à lui : un autre personnage qui veut, au contraire, modifier le temps. Le concept a déjà fait l'objet de beaucoup de films (Terminator, Retour vers le futur, L'Effet papillon...), mais on a imaginé un maximum d'impossibilités pour aller jusqu'au bout de cette logique : si on sauvait le Titanic ? si on assassinait Hitler ? si on tombait amoureux de sa grand-mère ? Le monde actuel en serait chamboulé, et le héros s'y oppose.

On ne voulait surtout pas utiliser de machine, comme dans la science-fiction classique. Des gènes quantiques (une extrapolation scientifique, bien sûr) permettront au héros de changer de siècle en suivant les empreintes qu'il a laissées dans le passé (photos, statues, tableaux...). En revanche, il y a une unité de lieu : Paris, des arènes de Lutèce au "Granparis" high-tech des années 2080, en passant par la construction de Notre-Dame et l'Occupation allemande.
Au total, vous serez huit à vous partager la réalisation des treize épisodes. Comment peut-on préserver la cohérence d'un projet avec autant de participants ?
Pour le scénario, Pierre Boisserie et moi-même sommes complices depuis longtemps (collaboration sur La Croix de Cazenac, entre autres). Entre nous, c'est une partie de ping-pong permanente. On est des grands gosses : comme deux frères qui dorment dans des lits jumeaux et qui se racontent des histoires dans le noir, on multiplie les « et si... » et on ne conserve une idée que si elle nous plaît à tous les deux. Trois ans se seront écoulés entre la naissance du projet et la parution du premier album.

Nous connaissons très bien tous les dessinateurs qui interviennent. On fonctionne comme une bande de copains. Les changements d'époque et d'âge des personnages permettent à chacun de s'exprimer, pourvu que le scénario et les caractéristiques du héros (yeux vairons, cheveux blancs, cicatrice en V sur le front) soient respectées.

Il y a quelques réflexions sur la façon inquiétante dont notre société gère ses ressources et donc l'avenir (gaspillage d'énergies, réchauffement climatique...), mais il n'y a pas de grand message, et surtout pas de leçon de morale. La notion de plaisir prime. Notre plaisir de créer une grande saga de toutes pièces (un vrai casse-tête pour que tout colle dans cette histoire complexe !) et de la dessiner en s'amusant vraiment. Mais aussi le plaisir du lecteur, qu'on veut surprendre, voire manipuler en le faisant entrer dans des jeux de miroir incessants : des personnages se retrouveront face à eux-mêmes sans le savoir ; de lointains ancêtres vont rencontrer leurs descendants ; je ferai aussi un clin d'œil à un vieil ami qui m'est cher, Fabien M.
L'action, le suspense, c'est votre marque de fabrique ?
Justement, à l'avenir, j'aimerais faire plus de psychologie. J'espère relever ce défi. Je n'en dirai pas plus…
interview © Olivier Aubrée / Metro