mercredi 17 décembre 2008

Boisserie et Stalner : Il était une fois Cazenac - 2005

Texte de Pierre Boisserie paru dans La Lettre de Dargaud n°85 en septembre 2005 lors de la sortie de La Croix de Cazenac T7
Texte publié dans La Lettre de Dargaud n°85

Pierre Boisserie et Éric Stalner, septembre 2008 © Pierre Francillon

Boisserie & Stalner : Il était une fois Cazenac

Le septième titre de La Croix de Cazenac, Les Espions du Caire, inaugure en septembre le troisième cycle de cette série d’aventure sur fond d’espionnage. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas encore la série, une intégrale réunissant les trois premiers épisodes du premier cycle est sortie cet été, présentant notamment la série. Nous avons repris le texte d’introduction de Pierre Boisserie, coscénariste de Cazenac en compagnie d’Éric Stalner qui est aussi le dessinateur.

Les lecteurs qui viennent nous voir en dédicace nous posent souvent la même question : Pourquoi la guerre de 14-18 ? Je me suis dit que cette intégrale était l’occasion idéale pour répondre une bonne fois pour toutes à cette question et éclairer les nouveaux lecteurs.

Un peu d’histoire
À la fin du siècle dernier, alors que je commençais à plonger un orteil dans le grand bain de la BD, Éric (Stalner) décidait de son côté de se lancer en solo dans un nouveau projet. Bien que nous ne sachions toujours pas pourquoi dix ans plus tard, nous avions déjà étroitement sympathisé depuis quelque temps quand il vint me demander de travailler avec lui sur un nouveau projet. Le genre de proposition qui se refuse difficilement…

Nous voici donc réunis, commençant notre exploration de l’influence des liquides plus ou moins alcoolisés sur la créativité scénaristique, qui fera d’ailleurs bientôt l’objet d’une étude scientifique assez poussée (mais nous avons besoin de beaucoup de recul). Dans un premier temps, nous sommes partis sur l’idée de faire un polar urbain, dans lequel James Last, un jeune flic new-yorkais à demi indien, se découvre petit à petit un héritage chamanique, au fur et à mesure qu’il est confronté à des phénomènes paranormaux reprenant les thèmes classiques des loups-garous, des vampires, du vaudou et autres réjouissances. Bon, nous voilà partis, comme en 14, dans les impasses sordides entre les buildings à faire courir notre héros après une belle louve, sauf que…

Sauf que l’ami Éric, New York, ce n’est pas son univers, ou alors revisité par Roland Emmerich, avec des ruines et des arbres morts partout. Donc lorsque nous avons présenté le projet chez Dargaud, nous n’avons pas senti un grand enthousiasme : ce n’était pas mal mais ne correspondait pas vraiment à un univers « stalnérien ». Et ils avaient raison.

Nous étions quelque peu dépités, mais prêts à repartir sur autre chose. Nous nous retrouvons donc chez moi, et, ce jour-là, je revenais de visiter un très vieux monsieur qui vivait ses derniers jours, et qui m’avait fait ce jour-là un splendide cadeau. Son père avait fait Verdun, et lui avait légué un magnifique ouvrage de 1933, recueillant le témoignage de tous ceux, du plus modeste des soldats au plus gradé des officiers, qui avaient vécu cet enfer. Je retrouve donc mon Éric avec ce livre sous le bras. Il me dit : « Tiens, tu t’intéresses à la Grande Guerre, toi aussi ? » Et c’est là que j’ai eu cette réplique légendaire : « Ben oui… Pourquoi ? »

Nous y voilà donc : pourquoi 14-18 ?
Premièrement pour des raisons familiales qui touchent d’ailleurs toutes les familles françaises : Éric avait un arrière-grand-père, du côté allemand, et des grands-oncles, du côté français, qui sont morts au Chemin des Dames. Pour ma part, les Pierre Boisserie qui ornent les monuments aux morts de Dordogne sont légion. Explorer cette époque était donc une manière de leur rendre hommage.

Ensuite pour des raisons humaines : les hommes qui ont vécu cet enfer, dont beaucoup ne sont pas revenus (10 millions d’hommes dont 1,4 million de Français), ont fait preuve d’un courage que nous aurions bien du mal à trouver de nos jours. Leurs témoignages sont bouleversants et fort dérangeants pour nos vies confortablement consuméristes.

Enfin, pour des raisons politiques : la Grande Guerre est l’événement fondateur de la mondialisation et de tous les problèmes politiques qui en découlent et qui occupent encore aujourd’hui les gros titres de l’actualité. La France, La Grande-Bretagne et les États-Unis ont pris des décisions politiques avant tout pour défendre leurs intérêts économiques bien plus que pour préserver la paix entre les peuples ; et l’Irak était déjà convoité par les grandes puissances mondiales pour son pétrole, comme nous le verrons dans le Cycle du Tigre qui débute en septembre. De quoi alimenter des scénarios en explorant la face cachée de cette guerre, où les espions ont joué un rôle primordial.

Et hop !
C’était reparti pour un tour. Nous avons ressorti la bouteille de cassis et refait de la glace pilée et nous avons commencé à laisser notre imagination arpenter les tranchées du bourbier du nord de la France. Une idée s’est rapidement imposée : et si on conservait cette histoire de jeune chaman qui s’ignore et que les événements vont révéler ? Un chaman dans les tranchées ? Après tout, pourquoi pas ? Le personnage de Brad Pitt dans Légendes d’automne a fini de nous convaincre que c’était une bonne idée. Ajoutez à cela une dose d’espionnage, des histoires de famille, une quête initiatique, du vin de Cahors, alors servi à la cour des tsars, et le reste est venu tout seul…

D’autant plus qu’à l’époque, j’avais déjà sous le coude le scénario d’Eastern, qui raconte les tribulations d’un jeune Français en 1825 dans son périple depuis sa Bretagne jusqu’en Sibérie, à la poursuite d’un fabuleux trésor caché au cœur de la cité de Baba Yaga. L’histoire plaisait bien à Éric, mais il préférait travailler sur un scénario venant de nous deux. Nous avons alors commencé à consciencieusement piller le scénario d’Eastern pour alimenter celui de Cazenac en imaginant des liens entre les personnages de nos différentes séries. Lorsqu’au début de l’histoire que vous allez lire, le jeune Étienne parle du premier des Cazenac, enterré sous la grande Croix du domaine familial, c’est de Guillaume, le héros d’Eastern (dessin de Héloret), qu’il s’agit.

Il restait à trouver un titre pour cette histoire
Éric habitant Cahors, et moi-même étant originaire du Sud-Ouest, nous voulions un nom qui sente bon la vigne et le confit de canard. J’ai donc pris ma carte de Dordogne et exploré tous les noms qui me semblaient bien sonner, pour finalement m’arrêter sur Cazenac, petit village surplombant le château de Beynac, l’un des plus connus de la vallée de la Dordogne.

La Croix de Cazenac…
Aucun doute possible, nous avions trouvé le nom générique ! Voilà maintenant sept ans que nous nous occupons de la destinée de cette famille hors du commun. Nous nous sommes depuis attachés à chacun d’eux en espérant qu’ils nous pardonnent toutes les péripéties que nous leur faisons vivre. Et ce n’est pas fini ! Les aventures de Guillaume, le premier des Cazenac, ne font que commencer, et, qui sait, peut-être un jour lirez-vous celles du dernier des Cazenac. Et dernier, en anglais, se dit « last », comme James Last…

Pierre Boisserie

visuels © Stalner - Boisserie / Dargaud
texte © Pierre Boisserie / Dargaud

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